Présages

6 - 11 avril 2020

Présages
Masculin/Féminin, 11 avril 2020

En ordre de marche
Contre l’ennemi invisible
Nous sommes en guerre
Aux armes, citoyens!
Fanfare, musique

Il faut résister
Monter au front
Nous allons gagner
La presse célèbre les héros
Les chefs prennent le pouvoir
L’armée sort des casernes

Pénible réthorique guerrière
Langage colonisé de mâles blancs dominants
Oui, d’accord, quelques femmes aussi blanches et dominantes
A bout de souffle quand même
D’un autre temps, d’un autre monde, d’un autre « genre »
Homo erectus, forcément, tellement masculin, têtu, obtus,
Les couilles sur la table, eh oui…


Avec un léger retournement, pourtant
Ce qui en guerre est à l’arrière garde
Le féminin: soins, cuisine, maison, ménage, enfants
Se trouve aux avant-postes

Jean-Luc Godard, Masculin/féminin, 1966
Jean-Luc Godard, Masculin/féminin, 1966

 

Alors qu’est-ce qu’on attend?
Pour changer
Transformer les mots
Parler féminin
Faire sans défaire, attaquer, pénétrer

Une infectiologue italienne
Au début de l’épidémie
Rappelait
« C’est un virus, une maladie qu’il faut comprendre
Pour trouver des remèdes et soigner les personnes en danger »
Il n’y a ni héros ni héroïnes pour guérir
Mais des femmes et des hommes, des métiers et des connaissances
Au service de toutes et tous
Qu’il est temps de reconnaître
Au quotidien
Et non pas dans une farandole passagère
Elle, aussi, masculine à l’envi

Com’è profondo il mare

 

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Présages
Réel/Virtuel, 10 avril 2020

 

Hieronimus Bosch, Christ aux limbes, circa 1500
Hieronimus Bosch, Christ aux limbes, circa 1500

 

…c’est comme un mauvais film, ou alors un cauchemar, je me réveille et tout va bien, il n’y a pas de virus corona 19, les écoles sont ouvertes, les cinémas aussi, les bars aussi, tout va bien, puis non, c’est vraiment le virus corona 19, on se tient à distance, interdits de s’approcher, de se toucher, je ne vais plus au bureau, on travail de loin en télé, mais je sors tous les jours à vélo pour rester en forme, ne pas me déformer, je regarde aussi les statistiques, les tableaux et les tendances, les courbes montent, montent, c’est vrai, il faut rester chez soi, même si dehors le printemps gonfle les hormones et parfume l’air de bourgeons et de fleurs, je passe mes journées à l’écran, écrasé dans la vitre sale de l’ordinateur, qui ordonne, dirige, égalise le vrai et le faux, tout est pareil à l’écran, on peut tout faire avec une souris, c’est le même geste, clic et ça marche, on est chez soi et ailleurs, on boit même des apéros simplement possibles, pas vraiment vrai, on fait comme si au balcon, car dehors le danger guette, le virus corona 19 volette, indifférent à l’ennui des confinés, assez virtuels faut dire, qui ruminent streaming, Facebook et nouvelles à tour de bras dans les PC portables/jetables pleins de tâches de cuisine où l’on se découvre cuisiniers de la tête aux pieds, si c’est vrai que manger c’est encore mieux, après avoir dévalisé le maraicher et le boucher, local et bio, et quel soulagement d’apprendre que même les premiers ministres tombent malades, mais ils vont bien déclarent-ils dans des vidéos incertaines, troubles et rectangulaires qui bouffissent leurs visages avec des nez clownesques, à la réflexion peut-être que le film n’est pas si mauvais, il est fauxvrai ou réelvirtuel à la fois, c’est l’avenir, idiot! le nouveau narratif d’un monde inconnu et nous suspendus dans les limbes ni enfer ni paradis, on dirait le purgatoire pris dans une/des réalité(s) augmentées, rabaissées, bon il faut que je sorte le cake du four, pauvre créature intermédiaire et floue…

Com’è profondo il mare

 

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Présages
Lent/Rapide, 9 avril 2020

C’était un monde rapide
Jusqu’à janvier 2020
Un monde instantané (comme un mauvais café)
En temps réel (comme une horloge atomique)
Clip claque et que ça saute!!

Puis, Covid-19 a colonisé les salives, les postillons, les poumons
Coup d’arrêt, freinage d’émergence, stop!
Tout le monde descend!, crie le contrôleur céleste
Dieu ou n’importe qui, quoi, comment

Pour nous sauver
On ralentiiiiiit

Depuis, le monde tourne à peine
Il dévie de son orbite
Il dévisse
Aspiré par le soleil, le sommeil, les cercueils
Il s’écrase comme un obus de Mélies sur l’astre brûlant, si jaune et aveugle

Les hôpitaux, les pharmacies, la poste, Internet, les épiceries accélèrent
Les autres s’essoufflent, Philippidès amnésiques
Dans leurs fauteuils, pauvres mortels sans (é)crânes

« Goddamned », crache John Wayne
A cheval dans le couchant
Aux trousses du méchant

Repliés dans nos quartiers: en suspens, immobilisé, bridé, angoissé, au balcon
Nous perdons les pédales
En roue libre

Edward Hopper, Cape Cod Morning, 1950
Edward Hopper, Cape Cod Morning, 1950

 

A la télé, on fait l’éloge
De la lenteur réticente
De la bravoure incontinente
Pour passer le temps
Qui glisse des mains (comme une savonnette)

Avant Covid -19
Le slow était un luxe, un loisir, une délicatesse
Aujourd’hui, c’est une contrainte, une prison, une obsession
Demain, ce sera une nécessité, une vision, un calembour

Et la vitesse?
Une calamité, toujours.

Com’è profondo il mare

 

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Présages
Plus/Moins, 8 avril 2020


C’est plus qu’une simple grippe (râle le rescapé essoufflé)
C’est moins que la peste (riposte l’historien vanné)

Il faut plus de tests (répètent les experts de l’expertise)
Si on veut moins d’infections (calculent les as de la statistique)

Il y a plus de chômeurs
Le PIB en chute libre
Il y a moins de recettes,
La récession avance
On annonce des coupes budgétaires
Ou plus d’économies (restructurations, restructurations…)

Les dividendes restent pourtant
« Chose promise chose due, il ne manquerait plus que ça »

Voyagez moins, « on a compris! », les avions à terre
Passer plus de temps chez soi, (quel ennui quel bonheur, se recentrer)

« Au moins, nous avons internet, quelques francs par mois
Sans plus de limitations (je ne veux pas mourrir)

Plus de sécurité,
Moins de liberté
 
« To be, or not to be », je sais pas quoi faire en crâne à la main
Désemparé, plus ou moins

Carmelo Bene, « Un Amleto di meno » (1973)
Carmelo Bene, « Un Amleto di meno » (1973)

 

L’urgence (sanitaire, climatique, économique…) tue la politique

Certain réclament l’homme fort (et la femme?)
Plus de muscles
Contre les errances de la démocratie

Certains revendiquent le débat citoyen
Moins de testostérone
Contre la mainmise des élites aveugles

Vertical vs horizontal: comme une croix, un croisement, une intersection
Positif vs négatif: courant, somme nulle, logique binaire
Moins dans plus, plus avec moins
La complexité du monde me donne faim et soif, trois fois par jour

Entre
Qui assène « moins est l’unique issue pour nous sauver»
Plus ou moins une utopie
Et
Qui exige « plus de tout pour se relancer »
Plus ou moins une fatalité

Com’è profondo il mare

 

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Présages
Vide/plein, 7 avril 2020

Des rues vides
Des lieux touristiques vides
Le ciel vide d’avions
Les rayons vides des supermarchés
Les bureaux vides
Les trains vides
Les parlements vides

 

Les hôpitaux pleins
Des morgues pleines
Des balcons pleins
Des caddies pleins de courses
Les boites mail pleines
De réseaux sociaux pleins
Les écrans pleins
Des chants d’oiseaux tout plein

Covid-19 refait le monde à sa guise
De plein et de vide

Il étouffe les poumons
Il colonise les esprits
Il occupe l’espace
Il détourne le temps

Il épuise la pensée
Il saccage les portemonnaies
Il consume les espoirs
Il interdit les baisers


Com’è profondo il mare

 

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Présages
Proche/lointain, 6 avril 2020

Aujourd’hui
La distance protège (deux mètres, bon dieu!), elle est sociale
Le proche peut contaminer (il a toussé)
Chacun chez soi
A l’écran, Télémaque du XXIe (« qui se bat au loin »)
Orphelins d’Ulysse et Pénélope

Lucien Doucet (1856-1895), La reconnaissance d'Ulysse et de Télémaque (1880)
Lucien Doucet (1856-1895), La reconnaissance d'Ulysse et de Télémaque (1880)

 

Dehors, off limits
On retrace les frontières
nationales, épidermiques
Drones, caméras et satellites surveillent les écarts

Hier encore pourtant, tu te souviens?
Malgré les râleurs, les réacs et les cassandres, les écolos et les nostalgiques
C’était le grand village global (allez! glocal)
Génération Easy Jet
Les touristes et les migrants
Nous étions ici et là, tra la la
Au royaume de l’ubiquité
Partout, partout
Comme les fraises en janvier
A la MigrosCoopDenneretlesautres
Un rien contractés, à la fois crispé et écrasé par tant de proximité
Regardant son doigt au lieu de la lune

Demain, quand on pense à demain
Guéris et sauvés
On va se toucher, s’embrasser, se serrer, s’agglutiner
Même si les prudents-paranos-devins redouteront la deuxième vague
Ce virus pervers qui veut notre mal
Tant pis
Ce sera des bacchanales jamais vues
De corps à corps insolents
Jusqu’à la gueule de bois
Qu’il faudra soigner à coup d’aspirines
Avant de retourner au boulot
Dans un open space sans parois ni séparations
En préparant en cachette les vacances aux Maldives

Com'è profondo il mare

 

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