Injonctions
Soyons solidaires, 16 mai 2020
« Ensemble pour la Suisse. Montrons-nous solidaires! »
Réclame La Poste qui émet des timbres « Covid-19 Solidarité »
Les recettes sont reversées à la Chaîne du bonheur et à la Croix-Rouge suisse
Au moment où Corona relâche la pression
Les appels à la solidarité foisonnent
On a découvert qu’il y a des pauvres « chez nous »
On a découvert que des « indépendants » sont en difficulté
On a découvert que des salariés, surtout modestes, risquaient leur vie pour nous
La solidarité (dictionnaire) renvoie à l’aide et à l’assistance réciproque
Je te soutiens, tu me soutiens
Simple comme bonjour (de loin, eh!)
Au pire de l’épidémie, c’était symbolique
Faire du bruit à la fenêtre, au balcon, histoire de dire merci
A tous/toutes les soignant-e-s, d’abord,
Aux travailleurs de l’ombre, ensuite
Rapidement, on s’est intéressé au sort des commerçants
Interdits de boutique
Il fallait acheter des bons, acheter à l’avance
Enfin, les misérables ont fait la file
Dans les villes
Pour retirer les paniers gratuits des ong
Editorialistes et chroniqueurs
Sociologues et économistes
Ont embrayé alors sur le devoir de solidarité
Car la fracture sociale menace
Les inégalités mettent à mal la cohésion
Les populismes enflent, etc, etc.
Bref, nous voilà pris entre le marteau et l’enclume
Entre le chacun pour soi dominant et le chacun pour tous souhaité
Individualistes, mais généreux
Comme ces nababs multimilliardaires
Qui versent des millions aux bonnes oeuvres
Au risque, pour les autres, de se voir imposer des contributions de solidarité
Genre, ponction sur 13e salaire de la fonction publique
Curieux
C’est appel unanime à la solidarité
Synonyme de charité
Surtout dans un pays riche, ultra-riche
Où les finances publiques sont au beau fixe
Et les fortunes prospèrent à l’abri
D’ailleurs, sondage à l’appui,
J’apprend que les Suisses veulent bien faire preuve de solidarité
Mais il faut la mériter
« On aide plus volontiers un dentiste qu’un travailleur au noir ou un étranger »
Déclare l’auteur de l’étude*
A priori solidaire
Je m’emporte pourtant (je suis vite énervé, c’est vrai)
Contre ses injonctions à la fraternité, au partage, à l’entraide
De plus, à géométrie variable
La solidarité est certes le sel de l’humanité
Mais, je crains, je crois, je l’affirme
La solidarité est le cache-sexe (fig. dissimulation de la vérité)
D’une société implacable, ou presque, avec les plus faibles
Même quand elle veut les protéger
Assis a mon bureau devant l’écran pâle de mon PC
Je me dis
La solidarité, et encore davantage la charité
Sont consubstantielles (inséparables) au monde capitaliste, libérale
Solidarité et charité rachètent (au sens propre) sa folie carnassière
Lavent ses méfaits et soulagent sa culpabilité refoulée
(Je prend des raccourcis, mais l’essentiel y est)
Drôle de dissociation
Une main exploite, l’autre donne
Avec le sourire et le sentiment du devoir accompli au nom de dieu
Et bien, non!
Je ne veux pas
Pas de caution pour (je n’ai pas d’autre mot, pardon)
Pour ce système
J’imagine (John Lennon)
La fin de ce système qui prive et accumule
Fondé sur le triomphe du capital (financier, de santé, culturel…)
Où, même quand on plante une tomate,
C’est un investissement au profit des générations futures
Petit philosophe casanier
Je voudrais un univers
Gratuit, sans intérêts (positifs ou négatifs)
Inutile (pas rentable), où il n’y a rien à gagner
Ni argent, ni pouvoir
Un univers où tout circule (pas de voitures, pas de motos, c’est clair!)
Fait d’échanges, de liens, de mémoire, de sens
Un univers à chaque fois rediscuté, repensé, remis en jeu
Différent (le contraire d’inégal, d’inique)
Juste pour vivre (sens large)
Ce qui est déjà miraculeux
*https://www.letemps.ch/suisse/giuliano-bonoli-suisses-preferent-aider-un-dentiste-quun-travailleur-noir
Injonctions
Ne revenons pas à la normale, 15 mai 2020
Normal, norme, règle
Le contraire aide à comprendre
Pathologique, déviant, irrégulier
Covid-19 est une anomalie
Le virus déroute le « normal », l’habituel, l’irréfléchi
Normal = réponse standard à une question qu’on ne pose plus
Vignettes
« Oh, nous avons fini les céréales, je vais en acheter à la Migros
J’en ai pour dix minutes en voiture »
« L’ordinateur est tombé en panne. Pas grave.
On va en acheter un nouveau. Cool! »
« Normal » va de soi
Coule de source
Jusqu’à l'évidence
Aussi naturel que la neige en hiver (mauvais exemple)
Jusqu’à supprimer toute alternative
Genre: « comment tu veux que je fasse?, je n’ai pas le choix »
Covid-19 bouleverse l’évidence
Mine la fatalité
On se tient à distance
On reste chez soi
Fini les bistros, les discos, le bureau
Même l’école a fermé
Les avions ont disparu
On ne circule presque pas
Bref, on connaît la chanson
Deux mois plus tard
Corona semble se retirer
C’est l’heure de revenir à la « normale »
Vox populi, vox dei
Retour à la vie d’avant = normal
Mais non!
S’insurgent d’autres voix se multipliant
Ne revenons pas à la « normale », la « normale » d’avant
Polluée, surconsommée, surchauffée
Pour la faire courte
Démondialisons, définanciarisons, dépolluons la planète
Circuits courts
Local partout
A mort le CO2
En (très) résumé
Crise = chance de changement
(non pas opportunité économique, qu’est-ce que vous croyez?)
Il faut changer de comportements, de système, de philosophie
On parle d’un bouleversement immense, quasiment un grand soir
Le « normal » est une construction sociale, ok?
Et non pas l’oeuvre de dieu (c’est comme ça!)
Alors on peut le révolutionner (j’ai des frissons)
Du coup (bang!)
Les autres voix insistent
Bientôt protestent
Demain bloqueront tout
Un autre monde est possible
Plus juste
Plus emphatique
Plus doux
J’applaudis
Puis, un doute, une hésitation
Ne serait-ce pas un autre « normal » qu’ils nous promettent?
Meilleur que le précédent, certes
Mais toujours « normal »
C’est-à-dire des nouvelles normes, règles, principes
Conformes pour le plus grand nombre
Car normal = majoritaire
Si c’est ça…
(Non, tu as mal compris, ce sera beaucoup plus ouvert, horizontal, participatif, solidaire aire aire aire)
Peut-être, mais si c’est ça…
Je n’en veux pas non plus
Car j’espère encore plus « anormal », plus dansant, plus différent
Dans mon esprit
Ça donnerait quelque chose comme ça
Fini l’opposition « normal-anormal »
Ce truc binaire
Dont il faut se défaire
Comme masculin-féminin
Noir-blanc
Réussite-échec
0-1
Riche-pauvre
Gros-mince
Etc.
Tabula rasa
En somme
A partir de là
Vive la variété (pas la musique), le fluide, le multiple
Sans risquer l’asile, l’opprobre, le mépris
Tuons les catégories, les étiquettes, les identités
Tout ce qui est rigide, qui ferme, qui paralyse
Voilà
Et qu’on ne vienne pas me dire que je suis
Naïf, fleur bleue, en dehors de la réalité
Bobo, privilégié, intello, blasé
Comme si l’histoire s’était arrêtée
Comme si on avait déjà tout essayé
Alors qu’on en est qu’au début
Malgré l’arrogance de s’autoproclamer « sapiens sapiens »
Tandis que l’univers navigue à vue
Bien moins vaniteux que nous
Injonctions
Reprenons le cours de nos vies, 14 mai 2020
Nos vies se sont arrêtées le 13 mars 2020
Début mélodramatique
Il exagère l’événement
Il noircit le tableau
Quitte à trahir la réalité
Toujours est-il que…
Maintenant, on nous encourage à reprendre le cours de nos vies
Donc, elles (nos vies) se sont bel et bien arrêtées (peut-être)
Ou, du moins, elles ont été mises en quarantaine
Question
Pourquoi reprendre le cours de nos vies après la crise?
Je devine
Reprendre le cours de nos vies
Veut dire
Reprendre le cours de nos vie « d’avant »
Covid-19
Nous a désaxé
Nous a perturbé
Nous a désorienté
Ainsi, après une période exceptionnelle (irrégulière)
Passée a tâtonner, à zigzaguer, à tituber
Face à l’incertitude, à l’inconnu, à l’invisible
Après cette période bizarre, étrange, singulière
Il est/serait urgent de retrouver le familier, l’ordinaire, l’habituel
Il est/serait temps de se recentrer, de se retrouver, de s’en remettre
Ça sonne comme une évidence
Oui, tout est dans le « re »
Ce préfixe qui désamorce l’escapade, le détour, l’écart
Certes, des illuminés éclairés téméraires
Espèrent la rupture, la lézarde (la chienlit)
Mais la reprise du cours de nos vie
Rassurant retour du même et de l’ordre
Qui raccommode, répare, recolle
Soulage les coeurs, les esprits
Sans oublier les tiroir-caisses
Et les fins de mois
C’est le triomphe de la calligraphie
La défaite des brouillons
Alors que la vie (?)
(là, je suis romantique)
Jaillit de ce qui nous égare, nous perd, nous déboussole
Nous pousse ailleurs, nous affranchit
Loin du cours (ordonné, dicté, aligné) de nos vies
Justement
Injonctions
Dépensez, 13 mai 2020
On a été pendant deux mois
Sous la menace de covid-19
Corps fragiles, âmes angoissées
Enfin, juste humains, pour une fois
Et puis
En un tour de main gouvernemental
Décrétant le retour à la normal
Nous voici redevenus
Comptes bancaires, portemonnaies
Bref, consommateurs
Dépensez, répètent les gourous de la croissance
Retournez chez le coiffeur, le restaurateur, le libraire
Achetez, achetez!
Commerçants et entrepreneurs n’attendent que ça
Sinon, gare à la récession
Car sans demande, l’offre s’effondre
Le chômage prend l’ascenseur
(drôle de métaphore)
Inutile de faire des économies
(avec les taux négatifs, quel intérêt?)
L’argent est là pour être dépensé
Il doit circuler
Et vite
Si vous en avez pas
Les créatifs de la finance
Incitent les gouvernements
A vous donner de l’argent de poche
(il faut ce qu’il faut)
Et si vraiment, enfin, on ne veut pas
du monde d’avant le coronavirus
(Glosent les plus éclairés, c’est dire)
Dépensez responsable, intelligent, local
Il n’y a rien de mal
Ne vous sentez pas coupables
L’important, c’est que ça tourne
Et si vous ne savez plus pourquoi (ça tourne)
Ne vous en faites pas
C’est pour la bonne cause
Assènent les économistes, les managers, les lobbyistes
On sauvera les emplois
Quelque 4,5 millions au pays des Helvètes laborieux
On soutiendra les PME
En Suisse, plus de 99% des entreprises; soit près de 600’000 enseignes
Pour un peu plus de 3 millions de salariés
On réduira la dépendance du pays à l’égard de l’étranger
Pour se faire une idée:
Export 303 milliards de francs
Import: 273 milliards de francs
PIB: près de 700 milliards
Budget de la Confédération: 72 milliards
Si on est disciplinés et dépensiers
A la fin, au bout du tunnel
L’année qui viendra
Il y aura la lumière
Clinquante, aveuglante, enivrante
D’une carte de débit
Sans limites de crédit
« The economy, stupid! »
Au cas où quelqu’un aurait cru le contraire
Au pire de la pandémie
Face à la déferlante
Qui tout passe par pertes et profits
Il nous reste alors, est c’est beaucoup,
La parole, le chant, la danse
Des rebelles
Des révoltés
Des maudits
Des poètes
Des Don Quichotte
Des Zola
De la comédie humaine
Inconnue aux comptables du bonheur marchand
Injonctions
Gardez la distance, 12 mai 2020
J’ai sans peine
Gardé la distance (deux mètres, bon sang)
Ne pas serré des mains (moites, molles, vaniteuses)
Evité les embrassades et les accolades (quel soulagement)
Pour cause de covid-19
C’est un peu dans ma nature (mais non!!!!)
Voilà pour le déballage moi-je, narcissique, facebook authentique
Sur le plan socio-anthropologique (on ne rigole pas)
Je suis abasourdi par le respect discipliné, militaire
De la consigne
L’autorité s’en félicite
Nous dit « bravos », comme à des enfants de six ans
Les chefs/ffes nous exhortent à persévérer
Jusqu’à quand ça ira mieux (contagiosité R0 <1)
Après, elles (les autorités) nous lanceront des Sugus et des sucettes
(les milliards, l’argent quoi!)
Pour nous récompenser (donnant donnant, enfin « win win »)
Nous, (qui?) obéissant, car on se tient à carreau
En rangs distanciés
Sous le regard horrifié des rares réfractaires
Victimes de délateurs zélés
Mais bon
En Suisse, l’ordre et la loi font partie de l’ADN national
Lieu commun!
Peut-être
Mais quand on voit ce qu’on voit
On y croit
Il faut dire
Il faut dire que quand la santé est en jeu
On ne chipote pas
On s’exécute et basta
Tranchent les caporaux qui pullulent sur le Net
Décidément la peur, l’angoisse, la mort
(oui, j’ai peur de mourir, non, je ne veux pas mourir)
Nous rangent bien avant le temps
Mais qu’est-ce que tu racontes?!?
Tu ne vois pas qu’il est question de respect, de solidarité, de responsabilité
Tu es égoïste et sociopathe
(comportement antisocial, impulsif et dénué de culpabilité)
Qui sait?
Pour finir
Un petit jeu
Pourquoi ne pas se promener avec un mètre (deux, en réalité)
Et tout mesurer
Jusqu’à perdre tout sens des proportions
Enfin, libres de disjoncter
Injonctions
Sauver l’économie, 11 mai 2020
Covid-19 aurait provoqué
La pire crise économique depuis….
Corollaire: il faut sauver l’économie
Un point c’est tout
Une injonction justement
Indiscutable, n’est-ce-pas?
Bon, on rechigne sur quelques détails
Mais sur le principe, quelle étrange unanimité
Sauf que sauver l’économie
Manque un peu de précision
Pire, ce ne veut pas dire grand-chose
Prenons l’économie au sens large
« Elle rassemble les activités humaines tournées vers la production, l'échange,
la distribution et la consommation de biens et de services »
(Wikipédia, oui c’est faible)
Vu de mon appartement
Calé devant/derrière mon écran
Fort de mes convictions
Libertaires, anarchistes
(je sais, je sais bobo propriétaire aussi)
Bref, assumant mes biais idéologiques et socio-professionnels
Et à partir de cette définition (elle vaut ce qu’elle vaut)
Je crois que… (tataaaaa)
Je crois que l’économie ne se réduit pas un modèle
Unique, inévitable
Fondé sur la rareté, la rentabilité, le profit
Érigés en vérités éternelles, en évidences intangibles
Par les idéologues de la croissance, des marchés, de la finance
Donc (roulement de tambour)
Je ne crois pas que l’économie (au sens large) est en crise
Je vois plutôt que l’un des modèles économiques possibles
Devenu dominant
Devenu l’ECONOMIE
Perd son assurance divine, égare les majuscules
Quémande de l’aide
Tant sa chute lui semble impensable
Oui, l’économie de la croissance, de l’exploitation, des inégalités
Des spéculations, des évasions
Cette économie-là
morfle, crache, tousse, s’essouffle
Pourtant, cette économie-là ne mérite pas d’être sauvée
Elle est nuisible
Sa disparition ne signifie pas la fin du monde, au contraire
La défense de l’emploi qu’elle utilise comme un bouclier
N’est que prétexte chantage pour exercer son pouvoir sans partage
Alors, à la place, j’imagine déjà
Des économies plurielles, locales, coopérantes, engageantes
Dansantes, suggère Nietzsche
Beaucoup plus gaies et légères
Que le travail insensé
Que l’import export forcenés
Que la consommation boursoufflée
Et que le taux négatifs dont je peine à comprendre l’intérêt