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20 - 25 avril 2020

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Rexister, 25 avril 2020

Un néologisme
Mot inédit
Alliage de résister et exister
Ce jour
Où j’arrête les chroniques sous la coupe de Covid-19
Assez blablaté

Dès lundi, commence une nouvelle épopée
Sous le signe de la rexistence

Se contenter de résister ou d’exister
Me semblait insuffisant
Le premier
Trop guerrier
Le deuxième
Trop dénué

Il fallait affirmer l’opposition
Mais aussi la vie

Dire non à tout ce que je ne ne veux pas de ce monde
Dire oui à la possibilité d’y échapper et devenir autrement

Alors rexister

Uno due tre chi non scappa c’è
(comptine italienne)

 

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Relancer, 24 avril 2020

Crise
Récession
Chômage
PIB en chute libre (quel acrobate!)

Mis à mal par Covid-19 (on dirait le nom d’un char d’assaut)
Le système productif, capitaliste, libéral, mondialisé
S’égare, s’essouffle, déprime

Deux mois d’arrêt de la machine (plus ou moins)
Et c’est la catastrophe
La consommation recule (normal)
Les bourses paniquent (ah, la confiance)
Les marchés s’effondrent (en pleure)

La solution: relancer l’économie
Assène la doxa (opinion majoritaire)
Insiste la crème des analystes, experts
Martèlent les lobbies et les syndicats

L’Etat doit intervenir
Dépenser l’argent public
Socialiser les pertes

Ce n’est la faute à personne
Un virus, une fatalité
Vraiment?

On connait le refrain et la théorie (John Maynard Keynes)
Inventée après la Deuxième Guerre mondiale
Quand l’économie perd pied
Conflit, krach boursier, épidémie
L’Etat assure le relais
Il relance à coup de billets, de projets
Vrai joueur de poker
Certain de sa mise et de son plan

Depuis Covid-19
Les milliards d’Etat tombent
Tout le monde en réclame
C’est la grande Kermesse
Comme à la Migros en tempos de pandémie
On fait la file aux guichets des administrations
Pour demander une subvention, un prêt, un exonération

Pourtant, le doute tracasse les esprits
Relancer, ou peut-être pas?
Décroître plutôt que croître?
Pourquoi toujours plus ou moins?
Comment se défaire de cette (fausse) fatalité?
Il vaudrait mieux que ça circule
L’argent, les idées, les gens
Sans jamais s’arrêter
A bas le profit, le cumul, le capital, l’épargne, l’économie, la fortune
Synonymes de paralysie, de mort
D’extorsion, de domination, de colonisation, d’exploitation (on, on, en choeur)
Assez de gagnants et de perdants
Assez de ce monde casino
Au diable la reprise, la relance, l’enchère et la surenchère
Etc..

Et si on se contentait de circuler, d’échanger, de changer, de transmettre
Et si on remettait tout en jeu tout le temps
Pour le bien commun

Je m’emballe…

Pour l’heure
Entre l’envie d’apéro et de retourner au boulot
Encore dans les limbes du virus
Nous sommes en suspens
?
Avant que ….

Uno due tre chi non scappa c’è
(comptine italienne)

 

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Imaginer, 23 avril 2020

Cloués chez soi
Enfin presque
Semi-confinés
Un peu en dehors du monde
Beaucoup à l’écran
Relativement esseulés
Plus ou moins distancés
Avec les mains sous le robinet…
…on imagine

C’est que ce décalage horaire, spatial, sentimental
Laisse l’esprit s’évader du je, soi-même, narcisse
En train de produire, reproduire, capitaliser,  profiter…
On se sent frère et soeur de Jean-Jacques Rousseau
Promeneurs solitaires avec nos rêveries

On s’imagine ce qu’on ne voit pas/plus en chair et en os
(liste non exhaustive)

La famille dispersée
Les amis éparpillés
Le bureau déserté
Les collègues télé-travaillés
Les touristes disparus
Les dealers désoeuvrés, mais ce n’est pas vrai
Les policiers partout
Les bars barrés
Les cinémas dans le noir, que du noir
Les caissières angoissées
Les infirmières masquées
Les traders en hedges funds
Les plus de 65 ans énervés
Les mois de 25 ans fuck tout le monde
Alain Berset seul dans son potager
Etc…


On peut aussi, comme John Lennon
Et s’inventer une autre planète
Imagine… (fredonner en anglais)

Sans voitures
Sans motos
Sans Donald Trump
Sans Pétrole
Sans Federer
Sans argent
Sans reprise économique
Sans MigrosCoopDennerManorAldiLidl…
Sans Google
Sans frontières
Sans héros
Sans ennemis
Sans sexes
Sans virus
Etc…

Mieux encore
Au lieu d’imaginer le pire
Sous des piles de factures
Au chômage technique
Paniqués à l’idée de la contagion
On peut refaire la planète

Plus ronde
Plus drôle
Plus lente
Plus audacieuse
Plus littéraire
Plus théâtrale
Plus musicale
Plus parfumée
Plus horizontale
Plus animale
Plus végétale
Plus terrestre
Etc…

Le Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich (1818)
Le Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich (1818)

Parfois, au crépuscule
Las de skype
on se contente d’imaginer quand tout ça
Coronavirus, Covid-19, pandémie
Cet Apocalypse Now à deux sous
Sera terminé
Et s’en réjouir
S’en réjouir
C’est tout

Uno due tre chi non scappa c’è
(comptine italienne)

 

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Tester, 22 avril 2020

Il est beaucoup question de tester
Ces derniers temps
Faut bien dénicher les malades ou les rescapés
Mais ce n’est qu’une des significations du mot
Celle de soumettre à une épreuve, à un examen
Que les écoliers et les étudiants du monde entier connaissent par coeur

Dans la même lignée, mais dans un langage plus testosteroné
Tester veut dire aussi défier, provoquer
En anglais « challenger »
Mot fétiche de managers désormais désoeuvrés
Par une crise économique sans précédents
Mon dieu

Enfin, même si c’est son sens premier, tester renvoie au testament
Ce que l’on veut après notre mort
(Encore un délire d’omnipotence, soit dit en passant)

Egbert van Heemskerck, Le maître d’école, 1687
Egbert van Heemskerck, Le maître d’école, 1687

 

Tester, dans tous les sens, lors d’une épidémie
Donne le sentiment
De maîtriser l’inconnu
De prendre la mesure de ce qui s’échappe
Qui glisse des mains et de l’esprit
Comme une savonnette

Tester sert à identifier, à coller une étiquette
Le test dit oui ou non, 0 ou 1, positif ou négatif

Le résulta simplifie le chaos
Il sépare le bien du mal
Il rassure, merde à la fin!

Face à la complexité (c’est quoi ce mot abscons?)
Ces zones grises, incertaines
Dans une atmosphères bancale et confuse
Tellement humaine
On compte et on classe
Bref, on fait de l’ordre
Plutôt qu’embrasser le gai savoir, cher à Nietzsche (il joue dans quelle équipe?)
Entre la vérité et l’illusion

Tester pourrait être bel et bien un avatar de cette volonté de puissance
Appliquée au bordel du monde pour le rendre désespérément intelligible
Au cerveau de l’homo sapiens sapiens
Un peu dérouté quand même

Ce qui pousse beaucoup d’humains
À boire, manger, se droguer, s’entraîner, forniquer, consommer… à l’excès
Bien au-delà de la mesure binaire
Abrégeant fatalement leur existence
Laissant, malgré eux, un drôle d’héritage en guise de provocation:
Quand on aime on ne compte pas

Uno due tre chi non scappa c’è
(comptine italienne)

 

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Surveiller, 21 avril 2020

L’idée est simple
Tracer le virus avec une appli (ça fait moins inquiétant)
Suivre les infectés
Localiser la contagion
Puis isoler les foyers

Pour notre santé, pour notre bien
Un peu moins de liberté, de mobilité, de vie privée
Un peu plus de sécurité, de précautions, d’espérance de vie

Ces jours de Covid-19
On lit « La Peste » d’Albert Camus,
A la rigueur, « Huit clos » de Jean-Paul Sartre

En réalité, il faudrait lire et relire « Surveiller et punir » de Michel Foucault
Moins apaisant que l’absurde élevé à doxa suprême, populaire, sinon populiste

« Quoi d'étonnant si la prison ressemble aux usines, aux écoles, aux casernes, aux hôpitaux, qui tous ressemblent aux prisons ? », écrivait Foucault en 1975

Ajoutons à liste la société tout entière et on obtient le projet délirant de contrôle totalitaire pour nous sauver d’un virus alibi
Ou de nous-mêmes, pauvres mortels indisciplinés

Soit transformer le monde en prison panoptique virtuelle
Petit nombre qui surveille le grand nombre confiné
Histoire de le sauver

Le pénitencier de Lenzburg (Argovie) construit sur un plan en étoile (panoptique)
Le pénitencier de Lenzburg (Argovie) construit sur un plan en étoile (panoptique)


Théorie du complot?
« Le Temps a appris que la Confédération a demandé à Swisscom d’identifier les zones comptant au moins 20 cartes SIM dans un espace d’une superficie de 100 mètres sur 100. Le but, pour Berne, sera de déterminer si la population respecte l’interdiction de rassemblements de plus de cinq personnes dans l’espace public, à savoir les places publiques, les promenades et les parcs, comme le stipule l’article 7c, alinéa 1 de l’ordonnance 2 COVID-19. »
(25 mars 2020)

On est à deux doigts de surveiller et punir à grande échelle
Celles et ceux qui ne se conforment pas aux diktats de l’immortalité
Que la police poursuit déjà, mais c’est encore artisanal

Voilà pourquoi Swisscom, les GAFA et les autres
Travaillent dur
Pour élaborer des applications rentables, efficaces, industrielles

Nous serons alors connectés, scannés, captifs
Mais en vie
Poissons rouges dans un bocal
Propre, en ordre, désinfecté

Uno due tre chi non scappa c’è
(comptine italienne)

 

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Raconter, 20 avril 2020

Covid-19 pousse à raconter, se raconter, à tenir un journal
En papier, blog ou podcasté
La bête, la peur, l’infection sont
Des machines à histoires
On inonde la planète, la websphère
De bla-bla et littérature
Immense kermesse
d’impressions, expressions, sentiments, émotions, réflexions, conversations, small-talk, confessions, hallucinations, cris, râles, rires et……

Vacarme de moi je personnellement
Déversé sur la bande passante
Si cool, si créatif, si skype
Et / Ou
Poèmes d’un monde en transe
Corps à corps, mot à mot libérateurs
Sans confins ni censeurs

Bref, les créatures racontent
C’est leur sort, leur salut
Livrés au silence céleste
Raconter les rend humains, probablement

C’est une vielle histoire

Avant le monde, avant Gutenberg, avant Zuckerberg
On conte, on fabule, on narre le vrai et le faux, l’important et l’insignifiant
« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement en Dieu », débute l’Evangile selon Jean

Avant Hugo, avant Godard et avant le streaming
On invente, on intrigue, on célèbre
« Chante, ô Muse, la colère d’Achille, fils de Pélée, colère funeste, qui causa tant de malheurs aux Grecs, qui précipita dans les enfers les âmes courageuses de tant de héros, et rendit leurs corps la proie des chiens et des vautours », démarre l’Iliade d’homère au moment où la peste décime l’armée grecque
Tient! Une contagion déjà source d’inspiration

Bref, tout le monde raconte, se raconte, se la raconte
Mais au-delà du brouhaha des histoires
Un « narratif » du virus s’impose
Ah, le narratif, invention suprême du marketing mondialisé, poil au nez
Storytelling qui cache la réclame derrière l’affabulation

 

Alors, des voix revendiquent d’autres paroles
Concurrentes, alternatives, contradictoires, résistantes

Parlons, que diable! Avec arguments, faits, raison
Sans répéter à longueur de journée
La litanie de nouvelles et de recommandations et des évidences
Au nom du service public, de l’urgence sanitaire et de la croissance économique

Nous ne voulons pas sombrer dans un sommeil inconscient, aliéné
Quand tout va recommencer, sans faire d’histoires

Uno due tre chi non scappa c’è
(comptine italienne)

 

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