Sixième tentative: 28 mars 2020
Le coronavirus nouveau nage
Les gouttelettes de salive: sa mare, sa piscine
son océan
La gouttelette fait 5 micromètres, dit Wikipédia
Cinq millièmes de millimètre
C’est dire si elle est minuscule
Insignifiante même
Covid-19, encore plus petit, barbotte dans ces éclaboussures
Il y vit, il y survit
Oui, parce que ces gouttelettes sont ses abri, ses armures,
En dehors, il meurt, pouf!
Asséché, comme un vulgaire lombric sorti de terre
Ce SDF nomade, apatride, cosmopolite
Dans l’air du temps
« Et je fais comme je veux, quand je veux, avec qui je veux, où je veux »
connaît sont point faible, sa fêlure, son drame
Alors, il plonge, il se liquéfie dans la profondeur baveuse de la goutte (lette)
Cendrillon viral, il se téléporte rapide dans son carrosse liquide
Métamorphosé en Don Juan
Il passe d’un corps à l’autre, d’une étreinte à l’autre
Il traque les cellules
Les possèdes
Puis, les abandonne épuisées, tuméfiées, consumées
Fier de sa descendance
En attendant minuit
J’ai regardé de près une gouttelette
Pas de signes de vie à mes yeux grossiers
Il faudrait un microscope, un cryo-microscope,
Il faudrait Jacques Dubochet
Pour voir un milliardième de mètre et moins encore
J’ai le vertige
Je me noie
Jevaismelaverlesmains
Cinquième tentative: 27 mars 2020
Le match zéro
Comme le patient zéro
L’origine du mal (adie)
Il faut toujours que ça commence: il n’y a pas - il y a; binaire, 0-1
Et si c’était fluide, confus,
toujours là, sans être vraiment là
Reprendre son souffle
Las photo des tribunes du stade
Atalanta, l’équipe de Bergamo, contre Valence, Ligue des champions 2020, 8ème de finale
On joue à Milan, le stade de la petite ville lombarde de 122000 habitants est trop petit
Infiniment petit
19 février, il fait froid, le coronavirus est encore chinois, ou presque
45000 supporters s’entassent, s’embrassent, hurlent, conspuent, crachent: goal!!!!
Le virus est là, peut-être, forse
La photo agrandie ne montre rien de plus que des pixels
Plus c’est grand, plus ça disparaît
Peu importe
Les journalistes imaginent que Covid-19 circule, plane, surfe: sort, rentre
Bouche à bouche
Nez à nez
Les médecins, scientifiques, nuancent: « un facteur de diffusion »
Une caisse de résonance
Une vibration qui se répand, vibre, s’amplifie
Un virus ressemble à une sphère avec des trompettes partout
Ou à un ballon foutu
Comme le football, il s’emporte, importe, s’exporte
Économie du virus (qui reste à faire)
Quelqu’un gagne déjà de l’argent
Les fabriquant de raviolis en boîte, de papier de toilette, les sites pornos, les fonds spéculatifs
Hedges funds, on parie sur le sociétés bénéficiaires des plans de relance étatiques
Un mois plus tard, Bergame succombe
Les championnats sont suspendus
Les footballeurs chantent
Ilfautquejememelavelesmains
Quatrième tentative: 26 mars 2020
L’air en photo
Ça ressemble au ciel
Respirer le ciel
Il pourrait aussi voler, le virus
A-t-il des ailes? Ange, démon?
Mais ce n’est pas sûr
Ah!
Les chercheurs cherchent
Combien de temps survit-il
hors de nous, hors de lui, enragé?
Quelques minutes, des heures, des jours; il est malin (le diable?)
Il a rien d’autre à faire, lui, se reproduire, point
Vole-t-il ou pas, alors?
Dans un laboratoire, oui
Dans la vie de tous les jours, on ne sait pas
Enfin, ça se discute
Je me rappelle une exposition
Des toiles d’araignées dans les catacombes du Palais de Tokyo à Paris
Dans la pénombre, des architectures filantes
Il paraît, j’avais appris, que les araignées peuvent s’envoler sur un fil de bave
Planer pendant des kilomètres
Je respire, c’est bleu, j’avale l’angoisse, c’est rien, ou un pain au chocolat, c’est sucré
Maisd’abordjevaismelaverlesmains
Troisième tentative: 25 mars 2020
Derrière le t-shirt, la poitrine
Derrière la poitrine, la cage thoracique
Dans la cage thoracique, les poumons
Les poumons: entre l’air et le sang
On prend l’oxygène, on vide le gaz carbonique
Pneumatique, de toute beauté
Comme le t-shirt
200m2 d’alvéoles au boulot
Pour respirer 15000 litres d’air par jour
Le virus rentre par là,
Squatte une protéine,
Colonise les alvéoles
Après, on tousse
Jevaismelaverlesmains
Deuxième tentative, 24 mars 2020
J’ai toussé
J’ai éternué
Il est peut-être là
Sur le bois du bureau
Dans une veine, une fissure, un petit trou,
une éclaboussure
Peut-être
Comment le savoir?
Le virus est 250 milliards de fois
plus petit qu’un mètre
Inimaginable
Même groupés, on ne les voit pas
Il cache bien son jeu
Inutile de gratter, frotter, il s’accroche
Eau et savon, eau et alcool lui font peur
A l’abri d’une gouttelette d’eau, ah les postillons, il tient le coup quelques heures ou des jours
Je vois une ombre qui bouge
Jevaismelaverlesmains
Première tentative, 23 mars 2020
Il est invisible
Il est peut-être là
Je scrute la peau
Je l’appelle, je l’appâte
Je secoue ma main, histoire de le faire tomber
L’espoir de voir la petite bête se sauver
les jambes au cou
Je tape des mains pour lui faire mal, l’entendre crier
Je plonge la main dans l’eau froide, chaude, qu’il se noie
Rien
Il n’est peut-être pas la, finalement
Qui sait?
L’incertain comme seule certitude
Jevaismelaverlesmains