Pendant longtemps, j’ai cru que pour raconter, décrire ou expliquer la complexité des événements, des êtres, des choses, on ne pouvait pas faire simple. A un monde riche, enchevêtré, parfois
chaotique, il fallait une écriture, sinon une langue, foisonnante, pleine de sens, voire de contradictions.
L’existence multiple, labyrinthique, composée de couches et strates mêlées les unes aux autres ne pouvait pas se contenter de phrases courtes; sujet, verbe (actif, au présent) et objet.
Pourtant, on enseigne ça dans toutes les écoles de journalisme. On y enseigne à aller droit au but, à être précis, concis, efficace. On y assène que votre grand-mère (les journalistes sont
surtout des hommes) doit pouvoir comprendre sans effort ce que vous écrivez sur un sujet qu’elle ne connaît pas.
A force d’entendre ces recommandations, j’ai fini par changer d’idée. Oui, on peut écrire simplement ce qui est complexe. Si on veut être lu. C’est un autre précepte des écoles de journalisme. On
écrit dans un journal pour être lu. Et pour être lu dans le métro, au bistro, dans le brouhaha de la ville et probablement dans le silence d’un alpage, on ne fait pas de la littérature. On
rédige. Alors ça doit être lisible, compréhensible.
Il est possible, sans tomber dans le trivial, le banal, de rendre compte des mécanismes de la finance contemporaine ou des tourments d’un assassin en série avec des phrases brèves, avec des mots
concrets, sans abuser d’adverbes et d’adjectifs, sans se confondre dans une enfilade de subordonnées.
C’est une sorte de contrepoint: le simple décortique le complexe et l’expose aux yeux du monde. Le prend au piège et le dévoile. Une écriture qui serait le reflet de ce qui est compliqué
n’aiderait pas à y voir plus claire. C’est la pensée qui doit affronter la complexité, l’approcher, s’y perdre si nécessaire, non pas son expression.